L’orthotypographie, votre prochaine obsession

Cet article a été écrit à 4 mains et 2 cerveaux, par Adrien Lavallière et Zoé Thivet

Dans le monde fascinant du développement logiciel, où les lignes de code s’entremêlent comme des lianes dans une jungle numérique, se cachent de redoutables prédateurs, tapis dans l’ombre, prêts à faire trébucher les QA les plus méthodiques : les bugs orthotypographiques.

Mais d’abord, qu’est-ce que l’orthotypographie, me direz-vous ? Le surnom snob de l’orthographe ? Non, pas du tout : c’est l’ensemble des règles d’usage qui concernent, non pas l’orthographe des mots, mais l’utilisation des règles de typographie, c’est-à-dire de mise en forme du texte. C’est le monde, finalement assez méconnu, des espaces, majuscules, des ponctuations, etc.

Pourquoi c’est important ?

L’attention portée à l’orthotypographie n’est pas (qu’)un délire de QA maniaques. En effet, bien que les défauts liés à cet aspect aient peu de chances d’avoir un impact fonctionnel, ils n’en restent pas moins des défauts visibles par tout le monde, très rapidement et avec peu d’efforts, au même titre que les fautes d’orthographe de manière générale.

Deux impacts possibles : 

  • Chez les bénéficiaires de l’application : baisse de confiance envers le produit. Par une sorte d’effet de halo négatif, la perception générale de la qualité de l’application va pâtir de cette première impression.
  • En interne : baisse de la rigueur de la part des équipes techniques. Puisque telle ou telle maladresse orthotypographique est “passée” une fois, alors (souvent inconsciemment) il devient acceptable de manquer de rigueur sur ces aspects, et peut-être sur d’autres.

Cela ne fait pas envie. Voici donc un aperçu non exhaustif du bestiaire que l’on est amené à rencontrer lors de croisades contre ces défauts !

Les problèmes de majuscules

Que cela soit une mauvaise utilisation des majuscules en début de phrase ou sur les noms propres, les erreurs de majuscules font partie du monde de l’orthotypographie. Elles peuvent parfois avoir une incidence sur le sens de la phrase. Exemple : “Vous aussi vous aimez la Chine ?” et “Vous aussi vous aimez la chine ?” ne mettront pas d’accord les fans de voyages et de brocantes.

Elle collectionnait les lacets de chaussure de tous les pays d’Europe et pour ce faire, parcourait tous les vide-grenier qu’elle pouvait. Elle aimait vraiment la Chine.

Combo ultime : les majuscules accentuées. En effet, c’est un grand sujet de débat dans de nombreux projets informatiques ! Et comme l’explique parfaitement le site du Projet Voltaire sur son article des majuscules accentuées, c’est une controverse qui ne date pas d’hier. Plusieurs raisons expliquent cette absence. En premier lieu, les contraintes techniques : les machines à écrire ne possédaient pas ces caractères, et dans l’imprimerie traditionnelle les caractères étaient souvent indisponibles et leur composition manuelle fastidieuse. Omettre ces accents facilitait l’apprentissage. Mais aussi, certaines personnes trouvaient que les accents sur les majuscules étaient inesthétiques ou perturbaient la fluidité de la lecture.

Toutefois, les technologies modernes ont changé cette manière de penser. À l’ère de l’informatique, il est beaucoup plus simple de nos jours de mettre en place ces majuscules accentuées. En outre, ces absences d’accents peuvent créer des ambiguïtés aussi bien sur la prononciation que sur le sens d’une phrase.

Pour vous aider, voici un petit récapitulatif de ces majuscules “spéciales” (n’hésitez surtout pas à vous servir d’un pense-bête tel qu’un post-it pour ne pas trop encombrer votre cerveau) : 

CaractèreWindowsMac
ÀAlt + 183 ou Alt + 0192Verr. Maj. + 0
ÉAlt + 144 ou Alt + 0201Verr. Maj. + 2
ÈAlt + 212 ou Alt + 0200Verr. Maj. + 7
ÇAlt + 128 ou Alt + 0199Verr. Maj. + 9

A l’abordage !

Les problèmes de ligatures

Pour rester dans le monde des caractères spéciaux, d’autres erreurs comme l’absence de ligature typographique peuvent être remontées. Nous parlons ici des “oe” qui devrait plutôt être sous la forme “œ” (Alt + 0156) ou des “ae” pour “æ” (Alt + 0230). Ce qui permet de dire sans faute que vous avez rédigé votre curriculum vitæ ou bien que vous avez plusieurs œufs dans votre panier !

Meilleurs voeux !

Les problèmes de ponctuation

Tout comme les majuscules, les problèmes de ponctuation peuvent aussi altérer le sens de la phrase.

Exemple : Prenons l’exemple d’une phrase bien connue : « Il est tard. Et si on mangeait, les enfants ? », cela fait de vous une personne responsable, souhaitant la survie de ses progénitures. Alors que dire « Il est tard. Et si on mangeait les enfants ? », fait de vous… Attendez, ne bougez surtout pas – « Oui ? Allô, police ?… »

Point bonus accordé aux personnes qui font attention à la ponctuation des titres et des sous-titres ! Car en effet, ces derniers ne comportent pas de point à la fin même quand il s’agit d’une phrase complète.

Les QA disent les bugs sont très coriaces

Les problèmes d’espacements

Les problèmes d’espacement sont d’autant plus traîtres que les règles sont parfois inversées par rapport à l’anglais.

Exemple :  En français, on ménage toujours une espace insécable (oui, au féminin !) avant le signe des deux points ; en anglais, jamais.

Mais une espace insécable, qu’est-ce que c’est ?

Une espace insécable, c’est une espace qui joue un rôle de “colle” entre le signe qu’elle précède et le signe qu’elle suit. C’est-à-dire que si la phrase est trop longue et nécessite un retour à la ligne, il faudra tenir compte de cette colle.

Si la phrase est “À 19 h 01, le mardi 6 février 2024, elle se dit : « Je le savais ! »”, il y a plusieurs espaces insécables, qui lient les signes suivants : 

  • 19 h 30 (deux espaces insécables : une avant et une après le “h”)
  • mardi 6 février 2024 (trois espaces insécables, une entre chaque mot)
  • dit : (une règle empirique est qu’en français, lorsque le signe de ponctuation est double, il y a une espace insécable devant)
  • « Je (toujours une espace insécable après le guillemet ouvrant)
  • savais ! » (le point d’exclamation est une ponctuation double, et il y a toujours une espace insécable avant le guillemet fermant)

Typiquement, dans un code HTML, vous trouverez des espaces insécables sous forme de  .

« Oh non, ce n’est vraiment pas très beau
! »

Les problèmes de mise en forme

Le dernier type d’erreurs que nous citerons aujourd’hui est celles qui concernent la mise en forme. Et dans cette catégorie, nous pouvons inclure bon nombre d’erreurs tout comme les paragraphes mal indentés, les alignements incorrects du texte ou encore les polices de caractères inappropriées.

Bien évidemment, c’est bizarre

Conclusion

Au travers de ce bref aperçu, vous avez peut-être découvert quelques problèmes insoupçonnés. Encore une illustration que le monde de la qualité logicielle se nourrit de nombreuses spécialités et domaines d’expertise !

À (Alt+0192 ;)) bientôt pour de nouveaux articles !

Green IT : où en est la Nouvelle-Calédonie ?

Dans l’article précédent, nous présentions la démarche qui nous a animée ces derniers mois chez Hightest dans l’optique de mener un audit green IT et d’accessibilité sur l’ensemble des sites web de Nouvelle-Calédonie. Dans cet article, nous allons voir les résultats du premier audit que nous avons pu mener sur la base de la liste de quelque 2400 sites web calédoniens que nous avons pu constituer !

Outillage

Pour mener l’audit green IT sur cette liste, c’est l’outil d’analyse EcoIndex qui a été utilisé, sur conseil de notre confrère Xavier Liénart, expert du domaine. Il s’agit d’un outil open-source et sans visée commerciale, développé et mis à jour par le Collectif Green IT.

EcoIndex a permis d’obtenir, pour chaque URL testée, les informations suivantes :

  • Un score
  • Une note
  • Le poids de la page
  • Le nombre de nœuds sur la page
  • Le nombre de requêtes envoyées au moment du chargement de la page.

Un élément important à avoir en tête est que ce sont uniquement les pages d’accueil des sites web calédoniens qui ont été analysées.

Penchons-nous un peu sur ces différents indicateurs.

Un score et une note green IT ?

Le score et la note sont calculés par EcoIndex lui-même et n’ont pas de valeur en-dehors de l’outil. Ils permettent simplement de se faire une première idée (ou une première frayeur…)

Le poids d’une page ?

Le poids d’une page web représente la quantité totale de données que le navigateur doit télécharger pour afficher la page complète. Ainsi, plus il y a de contenus multimédias, plus la page « pèse » lourd. La consommation est encore plus élevée sur des réseaux lents et/ou des appareils mobiles (car l’appareil doit rester actif plus longtemps).

Pour optimiser le poids d’une page web, il est en général recommandé de compresser les images, de minimiser le code CSS et JavaScript non essentiel, et d’utiliser des techniques de chargement asynchrone pour réduire la quantité de données transférées.

Mais au-delà de l’optimisation, un travail de réduction est à envisager. Cette image, peut-on s’en passer ? Idem pour les animations.

Le nombre de nœuds d’une page ?

Les nœuds d’une page web sont les différents éléments de sa structure (le « body » d’une page HTML est un nœud, une image est un nœud, un paragraphe est un nœud…). Un grand nombre de nœuds entraîne une charge de travail plus importante pour le navigateur et une consommation d’énergie accrue. Dans une optique green IT, il est donc recommandé de réduire le nombre de nœuds, ou éventuellement d’utiliser des techniques de chargement progressif de la page.

Le nombre de requêtes envoyées par une page ?

Une page web est un document, qui bien souvent fait appel à d’autres documents pour bien s’afficher. Une image doit s’afficher dans la page ? Une requête est envoyée au serveur pour aller la chercher. Une feuille de style ordonne l’apparence de la page ? De la même façon, ce fichier doit être récupéré sur le serveur. Un script permet d’afficher telle ou telle animation ? Même chose. À noter que ces requêtes peuvent être envoyées sur le même serveur que celui qui héberge la page, ou sur un autre. Regrouper les fichiers ou utiliser la mise en cache sont des techniques préconisées pour réduire l’impact environnemental lié à ces requêtes. Mais aussi, évidemment, simplifier la page et son fonctionnement.

Alors, les résultats ?

Un constat a pu être fait très tôt dans l’analyse : beaucoup des meilleures notes ont été attribuées à des sites en construction qui avaient échappé à notre filtre. Nous avons donc écartés ces sites car hors de notre périmètre cible, ce qui a fait descendre la taille de l’échantillon à 2231. Cela rappelle que ce n’est donc pas parce qu’un site est « écologique » qu’il est écoconçu ; cela peut être simplement parce qu’il ne propose guère de contenu !

Suite à cet ultime écrémage, l’analyse EcoIndex lancée sur les sites web calédoniens a permis de constater les résultats suivants.

Des scores en courbe de Gauss triste

Sur EcoIndex, les scores des pages sont notés de A à G. La lettre A est attribuée aux sites les plus économes, la lettre G est attribuée aux sites les plus énergivores et impactants au niveau écologique.

La note la plus fréquente est E, ce qui tire la courbe de Gauss vers le côté obscur.

La répartition est la suivante :

NoteNombre de sites
A89
B195
C431
D524
E562
F341
G89

Les chiffres !

Poids des pages

Alors qu’EcoIndex préconise un poids maximum cible de 1,084 mégaoctets pour une page web, la moyenne des pages calédoniennes analysées est de 4,087 Mo, et la médiane à 2,824 Mo.

À titre de comparaison, EcoIndex partage les résultats de l’ensemble de ses >200 000 analyses précédentes (donc, sur un échantillon beaucoup plus vaste que la Nouvelle-Calédonie), et ceux-ci révèlent un poids médian de 2,41 Mo.

Les pages web calédoniennes analysées sont beaucoup plus lourdes que ce que préconise EcoIndex.

Nombre de noeuds

Pour ce qui est de la complexité des pages, basée sur leur nombre de nœuds, EcoIndex préconise une cible de maximum 600 nœuds. La moyenne calédonienne est à 810 nœuds, et la médiane à 617, c’est-à-dire un score très proche de la cible. La médiane de l’ensemble des pages web analysées par EcoIndex est à 693.

En termes de complexité, les pages web calédoniennes analysées sont quasiment conformes à la préconisation EcoIndex.

Nombre de requêtes

Combien de requêtes envoient les pages d’accueil des sites web calédoniens ? En moyenne, 98, et le nombre médian est de 86. Le nombre médian pour l’ensemble de tous les résultats EcoIndex est de 78, avec une cible préconisée de 40 requêtes.

Les pages web calédoniennes analysées envoient deux fois plus de requêtes que ce que préconise EcoIndex.

Et maintenant… la question qui tue !

Est-ce pire qu’ailleurs ?

Difficile de consulter ces résultats calédoniens sans se demander : « Faisons-nous pire qu’ailleurs ? » Au sein de la commission NID, c’est une question qui s’est posée dès le début : aurons-nous la possibilité de comparer les résultats avec ailleurs ? C’est donc une chance qu’EcoIndex partage les chiffres obtenus sur les autres sites !

Mais quelle conclusion tirer de ces chiffres ? Les écarts sont-ils significatifs ? Parole à notre confrère Thomas Avron, de la société Apid ; datascientist, il est accoutumé à ce type de questions.

Parole à Thomas Avron

La question que l’on va se poser sur l’échantillon des sites de Nouvelle-Calédonie est la suivante : sa distribution est-elle la même que celle de l’ensemble des analyses faites par EcoIndex ?

Poids des sites

Nous savons que le poids médian de l’ensemble des sites analysés par EcoIndex est inférieur à celui des sites du territoire. Comme nous n’avons pas la certitude que la distribution de notre échantillon suit une loi Normale (la fameuse courbe de Gauss, centrée sur la moyenne et en forme reconnaissable de cloche), nous allons donc utiliser un test non-paramétrique pour voir si la distribution des données est la même pour les deux groupes (EcoIndex et NC)… Ou si elle est différente.

Le test utilisé est le test U de Mann-Whitney aussi appelé test de Wilcoxon. Et d’après ses résultats, on peut dire que la médiane de notre échantillon de sites calédoniens est significativement différente de la médiane des poids de l’ensemble des sites analysés par EcoIndex !

Aïe ! Comme notre médiane est significativement au-dessus du total des sites analysés, on en conclut que nos sites locaux sont globalement plus lourds que ceux de l’extérieur. Et ce n’est pas un effet statistique.. La bonne nouvelle est la suivante : avec un tel résultat, on ne peut que s’améliorer !

Nombre de nœuds

Pour ce qui est du nombre de nœuds, nous sommes bons élèves : nos pages (avec le même test non paramétrique que pour les poids médians) sont significativement moins complexes. Pour autant, avec un nombre moindre de nœuds, nous avons des pages plus lourdes. Mais l’étude des écarts types révèlent que dans l’échantillon calédonien, il y a une très forte variabilité ! Que ce soit pour le poids, la complexité, ou le nombre de requêtes.

Nombre de requêtes

Et pour ce qui est du nombre de requêtes, il est significativement plus élevé dans les pages d’accueil de nos sites web calédoniens. Devons nous en conclure que tous les sites calédoniens sont moins “green” que leurs homologues du reste du monde ? En moyenne on le pourrait mais il faut se méfier des moyennes. La variabilité forte de l’échantillon calédonien révèle tout de même que nous avons des sites web très bien classés et qui se défendent bien au regard des objectifs, pourtant ambitieux, d’EcoIndex. Alors haut les cœurs ! Nous avons des efforts globaux à faire mais la compétence pour faire des sites de qualité est là !

Conclusion à six mains

Ce comparatif ne joue pas en notre faveur. Plus lourds alors que moins complexes, un plus grand nombre de requêtes… les sites calédoniens dans leur ensemble ne sont pas les bons élèves du green IT.

Et au-delà de ce comparatif avec les autres sites, l’objectif à avoir en tête est bien celui proposé par EcoIndex ; à ce titre, seule une très faible proportion de sites passe le test avec succès. Quand il s’agit de performance environnementale, nous n’irons nulle part, collectivement ni individuellement, si notre unique souci est de “ne pas faire pire que les autres”.

Sensibilisons-nous donc au plus tôt aux bonnes pratiques d’écoconception des sites web, et s’il n’est pas possible d’améliorer l’existant dans l’immédiat, engageons-nous à en faire une priorité sur tout nouveau projet !

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Ont contribué à cet audit : 

Xavier Liénart, MSI : expertise green IT, conseil technique notamment sur le choix de l’outil, contribution aux articles

Maeva Leroux : suivi de l’audit et animation de l’équipe, contribution à l’audit, conseil, veille technologique

Thomas Avron, APID : expertise en statistiques, interprétation des résultats, contribution au présent article

Mehdi Hassouni : commanditaire de l’audit dans le cadre de la commission NID du cluster OPEN NC

Le contact Hightest est Zoé Thivet : pilotage de l’audit et de la rédaction des articles, constitution du jeu de données, collecte automatisée des résultats EcoIndex

Et bien sûr un grand merci au Collectif Green IT pour son outil EcoIndex !

Pssst… ce n’est pas fini ! Sur le même échantillon de sites, un audit sera mené prochainement sur l’accessibilité !