Comment les QA voient le monde, épisode 2 : le pessimisme (oui, mais “professionnel” !)

Le mois dernier, avec Rose Lutz de Alt QA, nous avons parlé d’une déformation professionnelle fréquente chez les QA : tout doit être précis, tout doit être carré.

Nous revenons ce mois-ci avec un nouvel épisode de “Comment les QA voient le monde”, axé sur un autre trait courant : le pessimisme !

“Tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal”

(“Anything that can go wrong, will go wrong”)

C’est pas nous, c’est Murphy qui le dit, dans une loi très sérieuse qui porte son nom. Elle pose comme principe que :

“S’il existe plusieurs façons de faire quelque chose et qu’au moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter ce chemin”.

Dans la vraie vie, ce “quelqu’un” ce sera l’utilisateur final. Alors oui, c’est vrai, imaginer le pire ça casse l’ambiance, on est d’accord. Mais nous, les QA, c’est notre rôle de voir ce qui peut mal tourner, parce que si on ne l’anticipe pas, ce sera l’utilisateur final qui le fera… Et là, ça peut vraiment être une catastrophe !

Les logiciels ne sont pas des bateaux

“Pardon, mais on en reparle du Titanic ? Sans doute par excès d’optimisme (orgueil ?), il a notamment été construit avec trop peu de canots de sauvetage, pour sauver son look et parce qu’il était prétendument insubmersible. Et pourtant, le pire est arrivé : Jack est mort noyé !”

Le Titanic avait été très soigneusement conçu (avec de nombreux aller-retour avant de valider les plans). Avant d’accueillir son public, il avait également fait l’objet de nombreux tests : 

  • tests de vitesse
  • tests des portes étanches
  • tests des canots de sauvetage (sont-ils en bon état, contiennent-ils bien tout ce qu’il faut… notamment des boîtes à biscuits et des gobelets ?)
  • tests de télécommunication par télégraphie…

(Si vous voulez en savoir plus, nous vous invitons à lire cet article !)

Pourtant, si le Titanic avait été un logiciel, les QA auraient certainement refusé de dire qu’il était insubmersible. Comment apposer un terme aussi flatteur et définitif sur un système complexe ?

De plus, les QA auraient certainement imaginé des tests un peu étranges : 

  • Et si tout le monde décidait de se rendre à babord en emportant toutes ses valises ? Et en poussant tous les meubles à babord aussi ? Pendant un orage exceptionnel ? Est-ce que ça aurait une chance de faire basculer le bateau ? De casser le pont ?
  • Et si le système d’éclairage électrique tombait en panne en pleine nuit ? Une alternative pourrait-elle éclairer les couloirs et les escaliers ? Pendant combien de temps ?
  • Et si un feu se déclarait dans la cuisine ? Dans la soute ? Sur le pont ?
  • Et si le bateau croisait… imaginons… un énorme iceberg ? S’il était positionné à X mètres, sachant que le bateau navigue à X nœuds, pourrait-on le contourner ?
  • Et si on manquait de nourriture (qu’elle soit avariée, ou qu’elle tombe par-dessus bord, ou …) ?
  • Et si des pirates embarquaient à notre insu ?
  • Et si le capitaine avait une crise cardiaque ? 
  • Et si un groupe de cachalots prenait le bateau pour un jouet ?

La liste est sans fin.

Mais pourquoi tant de pessimisme chez les QA ?

Un début d’hypothèse… Ce n’est pas seulement parce que notre mission est de trouver des défauts. C’est plutôt qu’elle nous amène à déclencher des défaillances ! Le monde numérique nous permet de mettre en œuvre les scénarios les plus farfelus : en effet, dans le pire des cas, on redéploie l’environnement de test et rien n’est véritablement cassé. Notre imagination ne rencontre aucune limite tangible et on peut vraiment voir le pire arriver, en environnement de test. C’est peut-être pour cette raison que, lorsque nous revenons dans le monde physique, on continue d’imaginer les pires scénarios ; on en a vu tellement se produire, y compris de très improbables.

Difficile, donc, de baisser sa garde quand notre métier consiste non seulement à prévoir le pire… mais à le déclencher.

Le pessimisme est créatif

Nous, on se dit que c’est un peu notre capacité spéciale : celle de voir ce que les autres ne voient pas. 

Car oui, tout le monde pense toujours au “happy path”, par contre, arriver à voir les “sad paths”, c’est moins évident.

D’ailleurs, c’est aussi assez créatif d’imaginer tout ce qui pourrait (mal) se passer. Pour ça, on a aussi une technique : toujours penser à incarner 3 types d’utilisateurs différents. Les “users” (les internautes classiques), les “mis-users” (qui enchaînent les gaffes, cliquent à côté, oublient ce qu’il faut faire…) sans oublier les “abusers” (aux mauvaises intentions).

Attention, on tient vraiment à préciser que c’est un pessimisme “professionnel” !

Autant que possible, laissez-le entre votre chaise de bureau et votre clavier pro, pour ne pas sombrer dans la déprime une fois de retour à la maison. Après… il est possible que vous en rameniez un peu chez vous tout de même. Dans votre vie de tous les jours, vous vous surprendrez à porter un regard beaucoup plus soupçonneux sur les sites web et applis en tous genres. “Ma commande est-elle vraiment passée ? Pourquoi devrais-je faire confiance à ce mail de confirmation ? Ma commande est en retard… Et s’il y avait eu un micmac ? Et si on échangeait ma commande avec celle de quelqu’un d’autre ?”

Le pire, c’est que parfois, vous aurez raison. Mais vous risquez aussi de perdre vos amis si vous poussez le bouchon trop loin (qui aime les rabat-joie ?) 😀

Pour conclure

Tant que ça reste un pessimisme professionnel, qu’on garde pour le boulot, il faut le voir comme un atout, car oser regarder les risques en face c’est aussi la garantie de toujours prévoir un plan B… et donc au final de minimiser les risques !

Alors, la prochaine fois que vous croisez la route de QA un peu trop pessimistes à votre goût, souvenez-vous : on est justement là pour ça !